Le sommeil, le poids et la santé sont intimement liés. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si un peu plus d’un Français sur deux est en surpoids et que 30% des Français ne sont pas satisfaits de leur sommeil. Le contexte sanitaire actuel a renforcé ce lien car depuis le mois de mars les adultes ont pris en moyenne entre 2,5 et 4 kilos et les troubles du sommeil ont augmenté en fréquence (ils concernent dorénavant près de 40% de la population). En effet, à l’inquiétude présente chez certains, s’ajoute chez les autres la tentation de ne plus avoir de rythmes réguliers. C’est une erreur qui risque vite de se traduire par une fatigue croissante et une prise de poids inévitable. Et si cette période était au contraire l’occasion de se recentrer sur son équilibre personnel ?
Le manque de sommeil, une cause souvent ignorée de prise de poids.
Quand on prend du poids, on pense immédiatement à un excès de gourmandise et à un amour immodéré pour son canapé et sa télévision. On ne pense pas toujours à la qualité de son sommeil. Et pourtant, son impact est réel sur nos métabolismes et nos comportements alimentaires.
- Un petit voyage dans le corps humain …
Faisons tout d’abord un rapide petit séjour dans notre corps pendant que nous dormons. Dès le début de notre sommeil (idéalement bien avant minuit), nos premiers cycles du sommeil d’une durée chacun d’environ 1h30, sont riches en sommeil lent profond et pauvres en sommeil paradoxal. Au fil de la nuit, et en s’approchant du petit matin, ces cycles vont peu à peu s’appauvrir en sommeil lent profond et s’enrichir en sommeil paradoxal (celui des rêves !). Nous voyons donc que la nature de notre sommeil diffère selon l’heure de la nuit. Intuitivement, il faut donc réaliser que les conséquences ne seront pas les mêmes quand on se couche trop tard (vers 2h du matin) avec privation de sommeil lent profond – ou quand on se réveille trop tôt (avant 6h du matin) avec privation de sommeil paradoxal. Et c’est un fait. La fatigue physique est surtout le lot des « couche trop tard » – la fatigue mentale avec troubles de l’humeur, de la mémoire et des capacités de concentration est surtout le lot des « lève trop tôt » par rapport à leurs besoins.
Mais au-delà du tonus et de notre réactivité mentale, notre sommeil agit aussi sur nos métabolismes et notre comportement alimentaire. En effet, quand nous dormons nous sécrétons beaucoup d’hormones qui agissent sur nos métabolismes et sur nos comportements alimentaires. En l’occurrence le cortisol, l’insuline, l’hormone de croissance, la leptine et la ghréline. Durant la nuit, le cortisol (hormone de la réactivité) est au plus bas vers minuit et il remonte ensuite, contribuant ainsi à notre réveil à son maximum à partir de 7h du matin – l’hormone de croissance est à son maximum entre 21h et minuit ; ensuite elle décroit (cette hormone contribue à la bonne croissance d’un enfant qui dort suffisamment) – la leptine est à son maximum de 21h à 5h du matin (nous ne ressentons pas la faim) et la ghréline est à son minimum durant toute la nuit (cette hormone qui stimule la sensation de faim est donc inhibée pendant la nuit).
- Pourquoi ne pas dormir assez fait grossir ….
Si nous ne dormons pas assez, nous voyons bien que nous perturbons des cycles hormonaux qui, en temps normal, suivent leur propre rythme biologique réglé sur 24 heures (l’horloge biologique). Si nous sommes éveillés alors que nous devrions dormir, ces rythmes sont perturbés ; ils ne savent plus s’ils doivent suivre le rythme de jour ou de nuit. Et c’est un stress pour le corps. Se coucher régulièrement à 2h du matin n’est donc pas si anodin qu’on pourrait le croire !
- On fabrique du gras et on prépare son futur diabète …
Le cerveau le vit, en effet, particulièrement mal et manifeste son stress par une augmentation de sécrétion de cortisol dans la journée qui suit une nuit trop courte. Or, cette hormone est bien connue pour activer la lipogénèse (fabrication de gras par les adipocytes, cellules graisseuses) surtout au niveau de la graisse abdominale, celle qui favorise l’apparition des complications métaboliques et cardio-vasculaires. En somme, c’est un peu comme si le petit dormeur prenait un comprimé de corticoïdes tous les matins. Il augmente son risque de prendre du ventre mais aussi, au fil des années de nuits trop courtes, de développer un diabète car le cortisol augmente la fabrication de glucose par le foie, glucose qui aura bien du mal à rentrer dans les cellules du fait de l’insulino-résistance également favorisée par le manque de sommeil.
Plus il y a de sommeil paradoxal, moins il y a de sécrétion de cortisol. Et l’inverse est également vrai. Le manque de sommeil paradoxal, lié aux réveils trop précoces et au vieillissement, provoque une élévation des taux sanguins de cortisol, augmentant ainsi la fabrication de graisse abdominale et le risque de diabète.
- On mange plus gras et plus sucré …
Mais ce n’est pas tout. Si nous manquons de sommeil, nous fabriquons moins de leptine et davantage de ghréline ; c’est-à-dire que nous ressentons davantage la sensation de faim dans la journée. Nous mangeons donc davantage, avec une attirance prononcée pour les féculents, le pain et les aliments sucrés. Inconsciemment, nous associons cette sensation de fatigue à une hypoglycémie latente et recherchons les aliments riches en amidon et en sucres. Voilà qui explique les petites fringales de biscuits au moment où la somnolence se fait la plus forte, c’est-à-dire entre 14h et 16h. Quant à ceux qui prennent l’habitude de se coucher vers 2h du matin (effet délétère de l’effet « Cliffhanger » des séries télévisées), ils se mettent souvent à grignoter sucré vers minuit car ils ressentent la faim liée à un estomac vide, le dîner étant maintenant fort loin.
La leptine est une molécule fabriquée par les adipocytes de la graisse abdominale. Ce messager est capté par des récepteurs cérébraux au niveau du centre de la faim et inhibe la sensation de faim. C’est une molécule anorexigène. Elle est abondamment secrétée pendant le sommeil. Le manque de sommeil en freine donc la production, augmentant la sensation de faim le lendemain d’une nuit pauvre en sommeil. Preuve que le Gras communique avec le Cerveau.
- On est trop fatigué pour bouger …
Enfin, cerise sur le gâteau, comment faire son sport, entre-autre à la maison, quand on est fatigué(e) ?
Dormir une heure de moins chaque nuit fait économiser 300 calories dans la journée et augmenter de 300 à 400 calories les apports caloriques par surconsommation de féculents, pain et produits sucrés. Cela fait donc un surplus de 600 à 700 calories qui se traduit par une prise de poids moyenne de 1 à 2 kilos par mois.
- Preuves à l’appui ….
Une étude très intéressante (Spiegel K, The Journal of clinical endocrinology and metabolism, 2004) menée sur de jeunes hommes à qui on a imposé une restriction de sommeil (4 heures par nuit pendant 2 nuits), puis sans restriction de sommeil pendant 2 autres nuits, a montré que la restriction de sommeil augmentait de 23% la sensation de faim, en raison d’une baisse de 18% du taux de leptine (anorexigène) et d’une augmentation de 28% du taux de ghréline (orexigène). Cette augmentation d’appétit se focalisait surtout sur les aliments riches en graisses et en sucre (augmentation de 30%). Résultats confirmés par une méta-analyse relativement récente (Al Khatib HK, European journal of clinical nutrition, 2017) qui rapporte que le manque de sommeil augmente l’apport calorique journalier d’environ 400 calories, avec une consommation accrue de 59% de matières grasses !
L’effet sur le poids est donc inévitable et la prise de poids est rapide, car il a suffi aux volontaires d’une autre étude (Spaeth AM, Sleep 2013) de seulement 4 nuits en manque de sommeil (4 heures par nuit) pour avoir pris plus de 800g (donc en moins d’une semaine !).
Quant à ceux qui suivent des régimes, leur efficacité est considérablement réduite si le sommeil est inférieur à 6 heures par nuit (en dehors des petits dormeurs physiologiques). C’est ainsi que selon une autre étude (Nedeltcheva AV, Ann Intern Med 2010), après 14 jours de suivi d’un régime hypocalorique, ceux qui dormaient 8,5 heures par nuit ont perdu 3 kilos dont 2 kilos de masse grasse et 1 kilo de masse musculaire – alors que ceux qui ne dormaient que 5,5 heures par nuit ont perdu également 3 kilos mais seulement 500g de graisse et 2,5 kilos de masse musculaire !
En conclusion, un simple manque de sommeil chronique, à raison d’une heure de sommeil en moins par nuit (soit l’équivalent d’une nuit blanche par semaine) suffit à faire grossir et à freiner la perte de poids en cas de régime hypocalorique. C’est donc un élément qu’il faut intégrer, en plus d’une alimentation gourmande mais équilibrée – et d’une activité physique suffisante.
Le manque de sommeil, une réalité pénalisante pour tous …
La situation n’est en effet pas bien brillante. Elle ne fait même que s’aggraver. Environ 30% des Français ne sont pas satisfaits à juste titre de leur sommeil. Un Adulte devrait respecter en moyenne ses 7 à 8 heures de sommeil – et devrait idéalement se coucher au plus tard à 23 heures. Pourtant, ils sont 25 à 30% à dormir moins de 6 heures par nuit et à souffrir de somnolence durant la journée. On estime qu’il y a une dette de sommeil d’environ 1h30 par nuit. Ceci se voit surtout chez les femmes, en raison d’une plus forte pression de la charge mentale liée à la l’organisation familiale et à l’explosion du nombre de familles monoparentales. Mais ce n’est pas la seule raison : 90% des adultes passent beaucoup trop de temps devant la télévision et sur les réseaux sociaux. La situation est caricaturale chez les jeunes (15 – 25 ans) : 20% d’entre eux dorment moins de 5 heures par nuit, avec un coucher proche de minuit et un temps passé en moyenne de 70 mn dans leur lit à plonger dans les réseaux sociaux avant de mettre au moins 30 mn pour trouver le sommeil. La somnolence est alors maximale durant la journée, incitant à la surconsommation d’excitants de type sodas boostés et cafés qui ne font qu’aggraver les difficultés d’endormissement aux nuits suivantes, d’où le cercle vicieux.
Un nouveau-né dort en moyenne 18 heures dont la moitié en sommeil calme et l’autre moitié en sommeil agité (proche du sommeil paradoxal) ; à partir de l’âge de 1 an, son sommeil devient plus structuré, presque d’une traite la nuit. L’enfant a alors besoin de 12 à 14 heures de sommeil. De 3 à 6 ans, il lui faut 11 heures de sommeil. A partir de 6 ans, il n’a plus besoin de faire la sieste. Vers l’âge de 12 ans, il lui faut 10 heures de sommeil. L’adolescent a besoin de 9 à 10 heures de sommeil, avec un net décalage de l’heure d’endormissement le soir. Quant à l’adulte, la durée de sommeil « normale » est de 7 à 8 heures.
Et si on profitait du contexte actuel pour se recentrer sur la qualité de son sommeil …
Bien dormir, c’est se réveiller en forme et gagner en optimisme ; on se sent plus fort et mieux protégé contre les sentiments éventuels de morosité voire d’anxiété. Si certains n’ont besoin que 4 à 5 heures de sommeil la nuit pour se sentir en pleine forme, le plus souvent il faut au minimum 7 heures de sommeil pour se sentir bien. Pour ce faire, voici quelques conseils :
- Prendre un dîner léger qui ne soit ni trop gras (éviter les sauces et le pain fromages), ni trop sucré (éviter les glaces et gâteaux au dessert). En effet, intuitivement, on se doute bien qu’un repas très copieux provoque une digestion lente et laborieuse peu propice à un bon sommeil. C’est un fait car, durant la nuit, le tube digestif se repose également et tout le processus de digestion s’en trouve ralenti. Ce qui en temps normal ne dure que 3 à 4 heures, prend le double de temps durant la nuit. De plus, un estomac trop plein à tendance à régurgiter quand le corps est en position allongée. Le reflux gastro-oesophagien (RGO) qui s’ensuit provoque des sensations de brûlure et des petites quintes de toux sèche qui peuvent réveiller. Il faut donc trouver la juste mesure, avec un plat de viande, poisson ou œufs accompagné de plus de légumes que de féculents, un peu de pain, peu de sauce, un laitage plutôt que du fromage, et un fruit plutôt qu’un gâteau.
On sait qu’un peu de féculents aide à dormir. Raison pour laquelle, il serait bien de prévoir mi-légumes mi-féculents dans son assiette, ou un peu de pain. L’excès de protéines en revanche augmente la vigilance ; cela tombe bien car cela conforte la recommandation d’éviter de manger trop de viande le soir ; un œuf ou deux ou un filet de poisson iront très bien. Les tisanes de camomille ou de tilleul-verveine sont également recommandées, mais attention ; les boire au moins 2 heures avant d’aller se coucher, sinon, les réveils sont inévitables pendant la nuit pour assurer la vidange. Le lait tiède avec un peu de miel est apaisant chez certaines personnes.
Exemples de quelques dîners peu caloriques mais sommeil compatibles.
– Soupe de légumes – Omelette accompagnée de salade verte – Pain – Fromage blanc – Compote de pommes.
– Saumon accompagné de riz et épinards à la crème (allégée) – Yaourt avec un peu de miel Salade de fruits frais.
– Quiche lorraine (remplacer les lardons par des dés de jambon) accompagnée d’une salade verte – Fromage blanc – Fruit de saison.
- Savoir également que l’alcool et le tabac sont des excitants et provoquent un sommeil haché ponctué de micro-réveils. Il en est de même de la caféine qui va favoriser le retard à l’endormissement et le réveil précoce. Il est recommandé de prendre ses cafés avant 17h.
Pour autant, sauter le dîner serait-il une bonne idée ?
Certains utilisent cette technique pour maigrir en jeunant durant 16 heures. Ce n’est pas une bonne idée car la sensation de faim sera inévitable durant la nuit et risque de provoquer le réveil. Celui-ci va durer au moins un cycle d’1h30, puisque la personne se lèvera pour aller manger. Donc, à éviter. Quant à ceux et celles qui aimeraient, malgré tout, tenter cette expérience en faisant un dîner précoce (vers 18h – 19h) et en sautant le petit déjeuner, il faudra vraiment veiller à manger suffisamment de féculents à ce dîner pour que la réserve de glucose soit suffisante afin de tenir toute la nuit sans provoquer de sensation de faim et donc de réveil.
- Arrêter toute exposition aux écrans de télévision et d’ordinateur environ 2 heures avant l’heure d’aller au lit. Ne pas regarder son portable dans son lit. La lumière bleue qu’il émet suffit à supprimer la sécrétion de mélatonine et il faudra ensuite plus d’une heure pour trouver le sommeil. L’idéal ? Un bon livre, avec une lumière douce, dans une chambre fraiche, et aérée, aux rideaux tirés. Le lit doit être associé, inconsciemment, aux activités de sommeil ou sexuelles. Dès les premiers signes d’endormissement (baillement, fatigue), aller au lit et ne pas s’endormir dans le canapé devant son film dont on ne verra, de toutes façons, pas la fin.
Important à savoir : le meilleur sommeil et le plus récupérateur en terme de fatigue physique et mentale est celui qui se situe entre 22h et 2h du matin. Au-delà, et même si la personne récupère ses 8 heures de sommeil en se réveillant vers midi, elle en ressentira le contrecoup physique et mental. Il ne faut donc pas rater son heure de coucher, c’est la plus importante.
Ensuite, il faut prévoir une journée suffisamment active (chez soi et à l’extérieur, dans la limite du possible) avec des repas bien équilibrés et bien répartis dans la journée, pour éviter d’avoir très faim le soir et d’être énervé(e).
Et la petite sieste ? Si le cadre s’y prête, bien évidemment,pourquoi pas mais elle ne doit pas durer plus de 20 minutes. Il ne s’agit pas de faire un cycle d’1h30 de sommeil car non seulement on compromet la facilité d’endormissement du soir (en allégeant la pression du sommeil de la journée), mais de plus on en ressort fatigué(e). Il faut en revanche mettre son réveil, de façon à ne pas tomber dans le sommeil lent profond et ne rester que dans les 20 premières minutes du sommeil lent léger. Juste de quoi recharger les batteries et repartir de plus belle. Idéalement à faire avant 16h.
Au final, il est donc clair que le sommeil est précieux et qu’il faut le respecter. Le manque de sommeil est non seulement cause de fatigue mais aussi de problèmes de santé. Alors respectons le ; il nous est un allié précieux en ces temps difficiles.
Dr Laurence PLUMEY. Médecin Nutritionniste. Fondatrice d’EPM NUTRITION, Ecole de NUTRITION et de NAPSO-THERAPIE*(Nutrition – Activité Physique – Sommeil) – Auteur de « Le Monde Merveilleux Gras. Tout sur ces rondeurs qui nous habitent » aux éditions Eyrolles (mars 2020).
*La NAPSO THERAPIE est un nouveau métier d’accompagnement personnel autour des trois piliers de notre Santé : la Nutrition, l’Activité Physique et le Sommeil. Créé à l’initiative du Dr Laurence PLUMEY, il nécessite une Formation d’une année pour apprendre à maitriser ces trois disciplines et permettre au NAPSO-THERAPEUTE de savoir identifier les erreurs de comportements de chacun pour les corriger afin d’être et de rester en bonne santé. http://www.epm-nutrition.org/